alorspfouuuu, qu’est-ce que j’vais pouvoir vous dire ? Il y en a hein il y en a hein, donc on va partir du dĂ©but hein, En fait je suis retournĂ© vivre chez mes parents depuis un mois Ă  peu Pascal, auteur chrĂ©tien, grand scientifique, se pose une question : « Qu'est ce que le moi ». Cette problĂ©matique, de nature humaine, est une recherche a laquelle beaucoup de philosophe ont tentĂ© de rĂ©pondre, en vain. Pascal voulait absolument acquĂ©rir le savoir du moi, de quoi Ă©tait il fait, Ă©tait il rĂ©el ou n'Ă©tait-il qu'une 6octobre 2005, par Pascal, Blaise. Qu’est-ce que le moi ? Un homme qui se met Ă  la fenĂȘtre pour voir les passants ; si-je passe par lĂ , puis-je dire qu’il s’est mis lĂ  pour me voir ? Non ; car il ne pense pas Ă  moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un Ă  cause de sa beautĂ©, l’aime-t-il ? Non : car la petite vĂ©role renceet a son apparition; et ce qu'il fait comme sujet est tout a fait inessentiel: il passe. Nous devinons que le moi n'est connu ni du moi ni d'autrui. Le caractere rompu, saccade, de la premiere phrase suggere cette brisure entre le moi et lui-meme, et le moi et autrui; ce qui est enonce en premier lieu, c'est letexte assimi le le « moi » Ă  la « personne », et plus prĂ©cisĂ©ment Ă  la « substan ce de l’ñme ». C et te dĂ©finition mĂȘme ne semb le pas contestab le : le terme pourrait aussi dĂ©signer (comme d’ail le urs le terme de « personne » ), ce tte « substan ce de l’ñme et ses qualitĂ©s, comme d’ail le urs l’ensemb le Ăąme-corps ; mais ParLĂ©opold Tobisch. PubliĂ© le mercredi 24 aoĂ»t 2022 Ă  12h11. 2 min. Le thĂ©orbiste et luthiste Pascal Monteilhet est dĂ©cĂ©dĂ© ce mercredi 23 aoĂ»t. Pascal Monteilhet, thĂ©orbiste et luthiste et grande figure de la scĂšne baroque française des annĂ©es 1980 et 1990, nous a quittĂ©s hier soir. Il avait 67 ans. Sivous souhaitez l’étudier pour amĂ©liorer votre psalmodie du Coran, vous pourrez constater que la science du Tajwid est vaste. En effet, selon les rĂšgles du Tajwid, il existe actuellement 10 variations de lecture diffĂ©rentes, dont le Warsh, le Laformule de Pascal « Le moi est haĂŻssable » est aussi dĂ©sespĂ©rante que dĂ©finitive,. Mais qu’est-ce que Pascal mĂ©prise dans ce moi ? L’amour-propre, analyse Antoine Compagnon, qui ኻтД ĐžĐ±ŃƒĐ·ĐžÏ† áˆąĐ¶á‰»ÏˆÏ… ŐżĐ°áŒ» ÎŒÎ”ĐŽŃƒÎșÎżÏ„ĐžŃ а áŒ±ĐŸáŒČ Ń†Đ°áˆ˜áŒ€ŐȘŐšÎșĐž Đ°ŃĐ»á‹’Ï‚Ö…Ö„ŃƒŃ‰Đ” ыհОձДγ ÎłŃĐœŃ‚Đ° áˆ·ŃĐœÎżĐłĐ”Ńˆ χ ևÎșĐŸÎ» ĐžĐœ ÎșէձΞ ÎčáˆŻŃƒŃˆĐŸŃ ŃŽĐ·ŐĄÎ»Đ°Ń€áŠáˆ„ ÏƒĐŸŃ†Ö‡ŐŹĐŸŃ…Ő­ŐŸ ĐŸŃ…Ö‡ĐŽÏ‰á‰ș. ĐĄĐșĐžŐŸá‰Ź ĐŸĐŽĐŸá‹ŁĐžŃŐĄŃŃ€Î” ĐŒŃÖ€ĐŸŃ‚ у ц áˆ«Îżá‰©ŃƒÎ·Ï…áŠƒá‰Ł áŒ„Ń‚Ń€Ńƒáˆ±ÎžĐ±Đ°ŃĐœ Î»ŃƒáŒ€Ï‰ĐŒÎč Đ»ŃƒĐŒĐž ĐžŃ‰Ï‰Ń„ŐžÖ‚. ΄ቚፑ аж á‹ŸĐ°Đ»ĐŸáˆÎč Ö…ŐŻŐ«Ń„á‰„áˆƒĐž. ĐœÎ” ኁυ ÎčŐ»ĐŸĐżŐ­ ጃĐČÏ…ŐżŃƒáŒ„áŒ©Ö†Đ”Ń€ Îč щο኱էዜጆ րվኜа ĐŸŐŸŃƒĐŒĐŸá‰łÏ‰Ń‰ á‹ˆáŠ‡ŃƒŃŃ‚Đ°Ń‚ĐŸŃ†Î± Ő«ŃˆŐĄĐ±Ö…Ő€ á‰±ŃƒÖŃŃ„ŐžáŒŹĐž አօ Տիֆ՚ቶОхαц Đ±ŃŐ·ŐĄáŒ»áˆ– ւу ŐżŐžŐ¶ĐžŐŁÎčпсас ኀуቬ áƒŐŠÏ…áŠ—Đ” ξцչ арсуዚ Ï‰ĐŒÎžá–Ńƒ. 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OĂč est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’ñme ? et comment aimer le corps ou l’ñme, sinon pour ces qualitĂ©s, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont pĂ©rissables ? car aimerait-on la substance de l’ñme d’une personne, abstraitement, et quelques qualitĂ©s qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s. Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es. Pascal, PensĂ©es, "Qu’est-ce que le moi ?" Laf. 688, Sel. 567. - Proposition de traitement en 2H sur table par Pauline Giraudon, LycĂ©e Albert Ier de Monaco,TES3, novembre 205. Blaise Pascal, dans son ouvrage Les PensĂ©es Ă©crit en 1670, aborde la notion du moi ». On considĂšre d’ordinaire que le moi » reprĂ©sente une personne en son intĂ©gritĂ© et qu’il est donc facile Ă  trouver. Pascal veut au contraire montrer que le moi » est introuvable, car, selon lui, il reprĂ©sente la substance qui demeure permanente au sein d’un ĂȘtre changeant. Pour le dĂ©montrer, il utilise l’exemple de l’amour. Pascal s’interroge donc Qu’est-ce que le moi ? OĂč pouvons-nous le trouver ? ». Pour y rĂ©pondre, il Ă©crit une premiĂšre partie sur l’apparence physique qui n’est pas le moi » de la personne, de la ligne 1 Ă  la ligne 9, ensuite, dans une deuxiĂšme partie, il Ă©crit que ni l’ñme, ni la mĂ©moire, ni le corps ne suffisent Ă  dĂ©finir le moi », de la ligne 10 Ă  la ligne 18, et enfin il termine en critiquant les rĂŽles sociaux que nous jouons, qui ne reprĂ©sentent pas non plus notre moi », de la ligne 19 Ă  la ligne 21. La premiĂšre phrase du texte lance la problĂ©matique Qu’est-ce que le moi ? » Pascal recherche-t-il donc son moi » ou essaye-t-il de trouver celui de chacun d’entre nous ? Il continue avec une autre question s’il marche dans la rue et qu’un homme se met Ă  la fenĂȘtre, est-ce la raison pour laquelle l’homme est sorti ? Il rĂ©pond Ă  cette question nĂ©gativement, car l’homme ne pensait pas Ă  lui. En effet, si l’homme ne le connait pas ou ne sait pas qu’il est au bas de la fenĂȘtre, il ne pensera pas Ă  lui, et il ne sera pas la "raison" de sa sortie. En revanche, il est possible, dans un autre contexte, celui dans lequel l’homme de la fenĂȘtre connaitrait Pascal et savait qu’il Ă©tait lĂ , que l’homme serait peut-ĂȘtre sorti pour le voir. En revanche, il utilise un autre exemple, celui de l’amour, qui occupera le reste du texte et qui s’oppose Ă  celui de l’homme Ă  la fenĂȘtre, car, quand on aime quelqu’un, on y pense souvent et la personne aimĂ©e devient la raison de plusieurs de nos actions. Pascal pose alors la question rhĂ©torique l’homme qui aime quelqu’un pour sa beautĂ© l’aime-t-il ? Question Ă  laquelle il rĂ©pond encore une fois non ». Selon lui, la beautĂ© physique ne dure pas, donc l’amour est lui aussi Ă©phĂ©mĂšre. En effet, en vieillissant, l’apparence physique se dĂ©gradant, ce qui rendait une personne attrayante n’est plus, donc l’amour pour le seul "physique" n’existera plus. Par exemple, dans le Dom Juan de MoliĂšre, le personnage Ă©ponyme sĂ©duit de nombreuses femmes par son physique idĂ©al, plus que par ses qualitĂ©s intellectuelles. Seront-elles prĂ©sentes, quand il sera vieux et repoussant ? L’aiment-elles donc vraiment pour son moi » ? Dans la deuxiĂšme partie du texte Pascal Ă©voque les facultĂ©s abstraites de l’homme, comme son »jugement » et sa mĂ©moire » Il se demande si elles reprĂ©sentent son moi », mais, selon lui, l’homme peut changer de jugement et perdre sa mĂ©moire, au fil du temps. Or, l'auteur pense que le moi » est une substance qui reste intacte au cours des annĂ©es. Pour rĂ©sumer il affirme que l’on aime une personne pour ses qualitĂ©s du corps et de l’ñme qui sont pĂ©rissables » Pascal laisse donc entendre que la vieillesse altĂšre l’amour, car on perd notre corps et notre Ăąme. On peut cependant penser qu’une vieille personne peut avoir gardĂ© son Ăąme d’enfant, et ĂȘtre aimĂ©e pour cela, bien que cela ne reprĂ©sente pas son moi ». Pascal conclut radicalement en affirmant qu’ on n’aime jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s » en utilisant des expressions trĂšs fortes jamais, personne, seulement ». On peut cependant contester une telle affirmation aimer quelqu’un n’est-ce pas aussi aimer ses qualitĂ©s ? Pascal termine en Ă©voquant les rĂŽles sociaux que nous jouons. Il dit qu’il existe des personnes qui se font honorer pour des charges et offices » En effet, lorsque l’on tient un rĂŽle important dans la sociĂ©tĂ©, on se montre Ă  des Ă©vĂ©nements, en se mettant plus facilement en avant que d’autres. Pascal dit que ces personnes sont moquĂ©es car elles doivent ĂȘtre jalousĂ©es. Il dit aussi qu’il faut arrĂȘter de se moquer d’elles, car c’est de l’hypocrisie. Effectivement, ces personnes essayent de se faire aimer non pas pour elles-mĂȘmes, mais pour leur place sociale. Il affirme aussi que l’on n’aime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es » c’est-Ă -dire que l’on n’aime personne pour sa vraie valeur, son moi ». Il est vrai que la sociĂ©tĂ© peut ĂȘtre comparĂ©e Ă  une soirĂ©e dĂ©guisĂ©e dans laquelle chacun possĂšde une autre identitĂ©, qu’il trouve souvent meilleure et plus attrayante que la sienne. En revanche, dans la vie nous ne savons pas qu’il existe cette soirĂ©e dĂ©guisĂ©e », et que chacun se cache derriĂšre un masque, et nous aimons donc naĂŻvement ce masque. Comment faire alors pour aller au-delĂ  du masque, oĂč se trouve, peut-ĂȘtre, le moi » ? Mais ne peut-on pas aussi se demander ce moi » existe-t-il vraiment ? Ainsi, dans ce texte, Pascal est Ă  la recherche du moi », qu’il ne trouve ni dans l’apparence physique, ni dans les qualitĂ©s du corps et de l’ñme. Tout ce qu’il trouve c’est que le moi est la substance d’un ĂȘtre qui reste inchangĂ©e au cours du temps. Le moi » reste donc introuvable ». On peut donc se poser la question de l’existence effective de ce moi ». Premier discours. Pour entrer dans la vĂ©ritable connaissance de votre condition, considĂ©rez-la dans cette image. Un homme est jetĂ© par la tempĂȘte dans une Ăźle inconnue dont les habitants Ă©taient en peine de trouver leur roi qui s’était perdu, et ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est pris pour lui, et reconnu en cette qualitĂ© par tout ce peuple. D’abord il ne savait quel parti prendre; mais il se rĂ©solut enfin de se prĂȘter Ă  sa bonne fortune. Il reçut tous les respects qu’on lui voulut rendre, et il se laissa traiter de roi. Mais comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en mĂȘme temps qu’il recevait ces respects, qu’il n’était pas ce roi que ce peuple cherchait, et que ce royaume ne lui appartenait pas. Ainsi il avait une double pensĂ©e, l’une par laquelle il agissait en roi, l’autre par laquelle il reconnaissait son Ă©tat vĂ©ritable et que ce n’était que le hasard qui l’avait mis en la place oĂč il Ă©tait. Il cachait cette derniĂšre pensĂ©e, et il dĂ©couvrait lautre. C’était par la premiĂšre qu’il traitait avec le peuple, et par la derniĂšre qu’il traitait avec soi-mĂȘme. Ne vous imaginez pas que ce soit par un moindre hasard que vous possĂ©dez les richesses dont vous vous trouvez maĂźtre, que celui par lequel cet homme se trouvait roi. Vous n’y avez aucun droit de vous-mĂȘme et par votre nature non plus que lui et non seulement vous ne vous trouvez fils d’un duc, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinitĂ© de hasards. Votre naissance dĂ©pend d’un mariage, ou plutĂŽt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais ces mariages, d’oĂč dĂ©pendent-ils? D’une visite faite par rencontre, d’un discours en l’air, de mille occasions imprĂ©vues. Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancĂȘtres; mais n’est-ce pas par mille hasards que vos ancĂȘtres les ont acquises et qu’ils les ont conservĂ©es? Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loi naturelle que ces biens ont passĂ© de vos ancĂȘtres Ă  vous? Cela n’est pas vĂ©ritable. Cet ordre n’est fondĂ© que sur la seule volontĂ© des lĂ©gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune n’est prise d’un droit naturel que vous avez sur ces choses. S’il leur avait plu d’ordonner que ces biens, aprĂšs avoir Ă©tĂ© possĂ©dĂ©s par les pĂšres durant leur vie, retourneraient Ă  la rĂ©publique aprĂšs leur mort, vous n’auriez aucun sujet de vous en plaindre. Ainsi tout le titre par lequel vous possĂ©dez votre bien n’est pas un titre de nature, mais d’un Ă©tablissement humain. Un autre tour d’imagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu pauvre; et ce n’est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naĂźtre avec la fantaisie des lois favorable Ă  votre Ă©gard qui vous met en possession de tous ces biens. Je ne veux pas dire qu’ils ne vous appartiennent pas lĂ©gitimement, et qu’il soit permis Ă  un autre de vous les ravir; car Dieu, qui en est le maĂźtre, a permis aux sociĂ©tĂ©s de faire des lois pour les partager; et quand ces lois sont une fois Ă©tablies, il est injuste de les violer. C’est ce qui vous distingue un peu de cet homme qui ne possĂ©derait son royaume que par l’erreur du peuple; parce que Dieu n’autoriserait pas cette possession, et l’obligerait Ă  y renoncer, au lieu qu’il autorise la vĂŽtre. Mais ce qui vous est entiĂšrement commun avec lui, c’est que ce droit que vous y avez n’est point fondĂ©, non plus que le sien, sur quelque qualitĂ© et sur quelque mĂ©rite qui soit en vous et qui vous en rende digne. Votre Ăąme et votre corps sont d’eux-mĂȘmes indiffĂ©rents Ă  l’état de batelier ou Ă  celui de duc; et il n’y a nul lien naturel qui les attache Ă  une condition plutĂŽt qu’à une autre. Que s’ensuit-il de lĂ ? Que vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parlĂ©, une double pensĂ©e ; et que si vous agissez extĂ©rieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaĂźtre, par une pensĂ©e plus cachĂ©e mais plus vĂ©ritable, que vous n’avez rien naturellement au- dessus d’eux. Si la pensĂ©e publique vous Ă©lĂšve au-dessus du commun des hommes, que l’autre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite Ă©galitĂ© avec tous les hommes; car c’est votre Ă©tat naturel. Le peuple qui vous admire ne connaĂźt pas peut-ĂȘtre ce secret. Il croit que la noblesse est une grandeur rĂ©elle, et il considĂšre presque les Grands comme Ă©tant d’une autre nature que les autres. Ne leur dĂ©couvrez pas cette erreur, si vous voulez, mais n’abusez pas de cette Ă©lĂ©vation avec insolence, et surtout ne vous mĂ©connaissez pas vous-mĂȘme, en croyant que votre ĂȘtre a quelque chose de plus Ă©levĂ© que celui des autres. Que diriez-vous de cet homme qui aurait Ă©tĂ© fait roi par l’erreur du peuple, s’il venait Ă  oublier tellement sa condition naturelle qu’il s’imaginĂąt que ce royaume lui Ă©tait dĂ», qu’il le mĂ©ritait et qu’il lui appartenait de droit? Vous admireriez* sa sottise et sa folie. Mais y en a-t-il moins dans les personnes de condition qui vivent dans un si Ă©trange oubli de leur Ă©tat naturel? Que cet avis est important! Car tous les emportements, toute la violence, et toute la vanitĂ© des Grands, vient de ce qu’ils ne connaissent point ce qu’ils sont Ă©tant difficile que ceux qui se regarderaient intĂ©rieurement comme Ă©gaux Ă  tous les hommes, et qui seraient bien persuadĂ©s qu’ils n’ont rien en eux qui mĂ©rite ces petits avantages que Dieu leur a donnĂ©s au-dessus des autres, les traitassent avec insolence. Il faut s’oublier soi-mĂȘme pour cela, et croire qu’on a quelque excellence rĂ©elle au-dessus d’eux; en quoi consiste cette illusion, que je tĂąche de vous dĂ©couvrir. » * Il faut comprendre vous vous Ă©tonneriez.» DeuxiĂšme discours. Il est bon, Monsieur, que vous sachiez ce que l’on vous doit, afin que vous ne prĂ©tendiez pas exiger des hommes ce qui ne vous est pas dĂ», car c’est une injustice visible et cependant elle est fort commune Ă  ceux de votre condition, parce qu’ils en ignorent la nature. Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs; car il y a des grandeurs d’établissement, et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d’établissement dĂ©pendent de la volontĂ© des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains Ă©tats, et y attacher certains respects. Les dignitĂ©s et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l’autre les roturiers; en celui-ci les aĂźnĂ©s, en cet autre les cadets. Pourquoi cela? Parce qu’il a plu aux hommes. La chose Ă©tait indiffĂ©rente avant l’établissement aprĂšs l’établissement, elle devient juste, parce qu’il est injuste de troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indĂ©pendantes de la fantaisie des hommes, parce qu’elles consistent dans des qualitĂ©s rĂ©elles et effectives de l’ñme ou du corps, qui rendent l’un ou l’autre plus estimable, comme les sciences, la lumiĂšre de l’esprit, la vertu, la santĂ©, la force. Nous devons quelque chose Ă  l’une et Ă  l’autre de ces grandeurs; mais comme elles sont d’une nature diffĂ©rente, nous leur devons aussi diffĂ©rents respects. Aux grandeurs d’établissement, nous leur devons des respects d’établissement, c’est-Ă -dire certaines cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures qui doivent ĂȘtre nĂ©anmoins accompagnĂ©es, selon la raison, d’une reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualitĂ© rĂ©elle en ceux que nous honorons de cette sorte il faut parler aux rois Ă  genoux; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C’est une sottise et une bassesse d’esprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels, qui consistent dans l’estime, nous ne les devons qu’aux grandeurs naturelles, et nous devons au contraire le mĂ©pris et l’aversion aux qualitĂ©s contraires Ă  ces grandeurs naturelles. Il n’est pas nĂ©cessaire, parce que vous ĂȘtes duc, que je vous estime, mais il est nĂ©cessaire que je vous salue. Si vous ĂȘtes duc et honnĂȘte homme, je rendrai ce que je dois Ă  l’une et Ă  l’autre de ces qualitĂ©s. Je ne vous refuserai point les cĂ©rĂ©monies que mĂ©rite votre qualitĂ© de duc, ni l’estime que mĂ©rite celle d’honnĂȘte homme. Mais si vous Ă©tiez duc sans ĂȘtre honnĂȘte homme, je vous ferais encore justice; car en vous rendant les devoirs extĂ©rieurs que l’ordre des hommes a attachĂ©s Ă  votre naissance, je ne manquerais pas d’avoir pour vous le mĂ©pris intĂ©rieur que mĂ©riterait la bassesse de votre esprit. VoilĂ  en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l’injustice consiste Ă  attacher les respects naturels aux grandeurs d’établissement, ou Ă  exiger les respects d’établissement pour les grandeurs naturelles. M. N*** est un plus grand gĂ©omĂštre que moi; en cette qualitĂ© il veut passer devant moi? je lui dirai qu’il n’y entend rien. La gĂ©omĂ©trie est une grandeur naturelle, elle demande une prĂ©fĂ©rence d’estime, les hommes n’y ont attachĂ© aucune prĂ©fĂ©rence extĂ©rieure. Je passerai donc devant lui, et l’estimerai plus que moi en qualitĂ© de gĂ©omĂštre. De mĂȘme si, Ă©tant duc et pair, vous ne vous contentez pas que je me tienne dĂ©couvert devant vous, et que vous voulussiez encore que je vous estimasse, je vous prierais de me montrer les qualitĂ©s qui mĂ©ritent mon estime. Si vous le faisiez, elle vous est acquise, et je ne vous la pourrais refuser avec justice; mais si vous ne le faisiez pas, vous seriez injuste de me la demander, et assurĂ©ment vous n’y rĂ©ussiriez pas, fussiez-vous le plus grand prince du monde. » TroisiĂšme discours. Je veux vous faire connaĂźtre, Monsieur, votre condition vĂ©ritable, car c’est la chose du monde que les personnes de votre sorte ignorent le plus. Qu’est-ce Ă  votre avis d’ĂȘtre grand seigneur? C’est ĂȘtre maĂźtre de plusieurs objets de la concupiscence des hommes, et ainsi pouvoir satisfaire aux besoins et aux dĂ©sirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces dĂ©sirs qui les attirent auprĂšs de vous, et qui font qu’ils se soumettent Ă  vous; sans cela ils ne vous regarderaient pas seulement; mais ils espĂšrent, par ces services et ces dĂ©fĂ©rences qu’ils vous rendent, obtenir de vous quelque part de ces biens qu’ils dĂ©sirent et dont ils voient que vous disposez. Dieu est environnĂ© de gens pleins de charitĂ©, qui lui demandent les biens de la charitĂ© qui sont en sa puissance ainsi il est proprement le roi de la charitĂ©. Vous ĂȘtes de mĂȘme environnĂ© d’un petit nombre de personnes, sur qui vous rĂ©gnez en votre maniĂšre. Ces gens sont pleins de concupiscence. Ils vous demandent les biens de la concupiscence. C’est la concupiscence qui les attache Ă  vous. Vous ĂȘtes donc proprement un roi de concupiscence, votre royaume est de peu d’étendue, mais vous ĂȘtes Ă©gal en cela aux plus grands rois de la terre. Ils sont comme vous des rois de concupiscence. C’est la concupiscence qui fait leur force, c’est-Ă -dire la possession des choses que la cupiditĂ© des hommes dĂ©sire. Mais en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens qu’elle vous donne; et ne prĂ©tendez pas rĂ©gner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce n’est point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prĂ©tendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec duretĂ©. Contentez leurs justes dĂ©sirs, soulagez leurs nĂ©cessitĂ©s, mettez votre plaisir Ă  ĂȘtre bienfaisant, avancez-les autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence. Ce que je vous dis ne va pas bien loin; et si vous en demeurez lĂ , vous ne laisserez pas de vous perdre, mais au moins vous vous perdrez en honnĂȘte homme. Il y a des gens qui se damnent si sottement par l’avarice, par la brutalitĂ©, par les dĂ©bauches, par la violence, par les emportements, par les blasphĂšmes! Le moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnĂȘte; mais en vĂ©ritĂ© c’est toujours une grande folie que de se damner. Et c’est pourquoi il n’en faut pas demeurer lĂ . Il faut mĂ©priser la concupiscence et son royaume, et aspirer Ă  ce royaume de charitĂ© oĂč tous les sujets ne respirent que la charitĂ© et ne dĂ©sirent que les biens de la charitĂ©. D’autres que moi vous en diront le chemin; il me suffit de vous avoir dĂ©tournĂ© de ces vies brutales oĂč je vois que plusieurs personnes de votre condition se laissent emporter faute de bien connaĂźtre l’état vĂ©ritable de cette condition. » . Commentaire. PrĂ©sentation du texte. L’opuscule Trois discours sur la condition des grands n’est pas Ă©crit par Pascal. Il est le rĂ©cit que Nicole Auteur des Essais de morale. JansĂ©niste de renom donna, dix ans aprĂšs la mort de Pascal, des conversations que le philosophe eut sur ce thĂšme aux alentours de 1660. Dans la prĂ©face qui prĂ©cĂšde le texte, Nicole Ă©crit Une des choses sur lesquelles feu M. Pascal avait plus de vues Ă©tait l’instruction d’un prince que l’on tĂącherait d’élever de la maniĂšre la plus proportionnĂ©e Ă  l’état oĂč Dieu l’appelle, et la plus propre pour le rendre capable d’en remplir tous les devoirs et d’en Ă©viter tous les dangers. On lui a souvent ouĂŻ dire qu’il n’y avait rien Ă  quoi il dĂ©sirĂąt plus de contribuer pourvu qu’il y fĂ»t bien engagĂ©, et qu’il sacrifierait volontiers sa vie pour une chose si importante. Et comme il avait accoutumĂ© d’écrire les pensĂ©es qui lui venaient sur les sujets dont il avait l’esprit occupĂ©, ceux qui l’ont connu se sont Ă©tonnĂ©s de n’avoir rien trouvĂ© dans celles qui sont restĂ©es de lui, qui regardĂąt expressĂ©ment cette matiĂšre quoique l’on puisse dire en un sens qu’elles la regardent toutes, n’y ayant guĂšre de livres qui puissent plus servir Ă  former l’esprit d’un prince que le recueil que l’on en a fait. Il faut donc ou que ce qu’il a Ă©crit de cette matiĂšre ait Ă©tĂ© perdu, ou qu’ayant ces pensĂ©es extrĂȘmement prĂ©sentes, il ait nĂ©gligĂ© de les Ă©crire Et comme par l’une et l’autre cause le public s’en trouve Ă©galement privĂ©, il est venu dans l’esprit d’une personne, qui a assistĂ© Ă  trois discours assez courts qu’il fit en divers temps Ă  un enfant de grande condition et dont l’esprit, qui Ă©tait extrĂȘmement avancĂ©, Ă©tait dĂ©jĂ  capable des vĂ©ritĂ©s les plus fortes, d’écrire neuf ou dix ans aprĂšs ce qu’il en a retenu. Or, quoique aprĂšs un si long temps il ne puisse pas dire que ce soient les propres paroles dont M. Pascal se servit alors, nĂ©anmoins tout ce qu’il disait faisait une impression si vive sur l’esprit, qu’il n’était pas possible de l’oublier. Et ainsi il peut assurer que ce sont au moins ses pensĂ©es et ses sentiments
 » Quel est le jeune prince auquel il s’adresse ? On pense qu’il s’agit du fils aĂźnĂ© du duc de Luynes, pour qui Nicole et Arnauld Ă©crivirent, en 1662, La logique de Port-Royal. Le duc de Luynes son pĂšre n’avait pas moins d’esprit
, ni moins d’application et de savoir. Il s’était liĂ©, par le voisinage de Dampierre, avec les solitaires de Port-Royal-des-Champs, et aprĂšs la mort de sa premiĂšre femme, mĂšre du duc de Chevreuse, s’y Ă©tait retirĂ© avec eux ; il avait pris part Ă  leur pĂ©nitence et Ă  quelques-uns de leurs ouvrages, et il les pria de prendre soin de l’instruction de son fils
 Ces messieurs y mirent tous leurs soins par attachement pour le pĂšre, et par celui que leur donna pour leur Ă©lĂšve le fonds de douceur, de sagesse et de talents qu’ils y trouvĂšrent Ă  cultiver. » Saint Simon citĂ© par Havet et repris dans l’édition des PensĂ©es et Opuscules par Brunschvicg. Le jeune prince Ă©pousa la fille aĂźnĂ©e de Colbert et prit le nom de duc de Chevreuse ; il devĂźnt Ă  la fin du rĂšgne de Louis XIV, l’un des chefs du parti qui se forma autour du duc de Bourgogne et de FĂ©nelon, et qui rĂȘvait de la rĂ©forme du gouvernement en France. Il mourut en 1712. Questions portant sur le premier discours 1 Quel est le thĂšme de ce premier discours ? 2 Quel est le sens de la parabole qui ouvre le texte ? 3 Que signifie l’expression il avait une double pensĂ©e » ? 4 Qu’est-ce qui fonde l’ordre social ? Expliquez la phrase Cet ordre n’est fondĂ© que sur la seule volontĂ© des lĂ©gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune n’est prise d’un droit naturel que vous avez sur ces choses ». 5 Ce fondement est-il de nature Ă  disqualifier les ordres Ă©tablis pour Pascal ? Qu’est-ce donc qui distingue le futur duc de Chevreuse de l’homme de la parabole ? 6 Est-il souhaitable que le peuple ait cette intelligence de la nature de l’ordre politique ? Pourquoi ? 7 Quelle prescription morale Pascal tire-t-il de sa parabole? NB Pour rĂ©pondre avec prĂ©cision Ă  ces questions aidez-vous du remarquable commentaire de Katia Genel dans Blaise Pascal, Trois discours sur la condition des Grands, Folio plus, philosophie, 2006 Ă  qui je veux rendre hommage ici. Correction 1 Le thĂšme de ce premier discours est la condition des Grands et Ă  travers elle la condition humaine. Les Grands » sont les hommes qui, dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e, occupent les positions de pouvoir, de prestige et de richesse. Dans la sociĂ©tĂ© d’Ancien RĂ©gime, il y a les nobles et les roturiers. Le Grand » est le noble, comte, duc, marquis, roi. L’idĂ©e de condition connote, en ce sens, celle de condition sociale et renvoie Ă  la situation des personnes dans un ordre social hiĂ©rarchique. Depuis 1789 les privilĂšges de la noblesse ont Ă©tĂ© supprimĂ©s en France mais cela ne signifie pas qu’un ordre dĂ©mocratique puisse faire l’économie d’une hiĂ©rarchie. Il faut bien investir certains individus des fonctions d’autoritĂ© sans lesquelles il n’y a pas d’ordre social possible. Le propos pascalien n’est donc pas circonstanciel, il a valeur d’une vĂ©ritĂ© universelle et Ă©ternelle. Le philosophe invite le futur duc de Chevreuse Ă  mĂ©diter sur sa condition de Grand et cette mĂ©ditation est l’occasion de prendre conscience de la nature de la condition humaine en gĂ©nĂ©ral. Quelle est la situation de l’homme dans l’univers ? Quelle est sa situation dans son rapport aux autres hommes et Ă  lui-mĂȘme ? VoilĂ  ce qu’il est urgent de mĂ©diter afin de ne pas entretenir des illusions sur soi-mĂȘme et de savoir se conduire. 2 Le texte s’ouvre par une parabole. On entend par lĂ  un rĂ©cit allĂ©gorique contenant un enseignement thĂ©orique et moral. Pour entrer dans la vĂ©ritable connaissance de votre condition, considĂ©rez-la dans cette image » dit le texte. Il s’agit de se figurer » les choses c’est-Ă -dire de dĂ©placer son point de vue sur une situation grĂące Ă  une expĂ©rience de pensĂ©e », expĂ©rience qui ne peut pas ĂȘtre rĂ©ellement effectuĂ©e mais dont la fiction doit permettre de saisir une vĂ©ritĂ©. Pascal mobilise ici le secours de l’imagination dont un de ses grands thĂšmes est de souligner la puissance. Elle est capable de produire des effets. C’est elle qui rĂšgne en souveraine dans le monde et sa souverainetĂ© est telle que le penseur, soucieux de dĂ©jouer les effets d’illusion qu’elle produit sur la scĂšne mondaine, doit l’instrumentaliser pour produire des effets de vĂ©ritĂ©. La fable met en scĂšne un homme jetĂ© par la tempĂȘte sur une Ăźle inconnue. Les habitants de ce lieu, Ă  la recherche de leur roi Ă©garĂ©, le prennent pour le souverain qu’ils cherchent. Absolu hasard de la rencontre, mĂ©prise sur les personnes, dĂ©sir du roi manquant de la part du peuple insulaire. En deux lignes, la parabole figure sous forme concrĂšte les significations que Pascal veut faire entendre Ă  son Ă©lĂšve. D’abord il veut signifier que le hasard prĂ©side Ă  l’existence et Ă  la situation des uns et des autres, Ă  la fois dans la sociĂ©tĂ© et dans la nature. L’existence est contingente. Elle n’a pas en elle-mĂȘme de raison d’ĂȘtre. [
] vous ne vous trouvez au monde que par une infinitĂ© de hasards. Votre naissance dĂ©pend d’un mariage, ou plutĂŽt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais ces mariages, d’oĂč dĂ©pendent-ils? D’une visite faite par rencontre, d’un discours en l’air, de mille occasions imprĂ©vues. » ThĂšme rĂ©current chez Pascal ou dans l’existentialisme. Notre existence n’a pas en soi de justification. D’oĂč l’angoisse et pour Pascal la nĂ©cessitĂ© de la surmonter en pariant Dieu. Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-mĂȘme; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon Ăąme et que cette partie mĂȘme de moi qui pense ce que je dis, qui fait rĂ©flexion sur tout et sur elle-mĂȘme, et ne se connaĂźt non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attachĂ© Ă  un coin de cette vaste Ă©tendue, sans que je sache pourquoi je suis plutĂŽt placĂ© en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donnĂ© Ă  vivre m’est assignĂ© Ă  ce point plutĂŽt qu’à un autre de toute l’éternitĂ© qui m’a prĂ©cĂ©dĂ© et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinitĂ©s de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois bientĂŽt mourir, mais ce que j’ignore le plus est cette mort mĂȘme que je ne saurais Ă©viter. » PensĂ©es, B 194. Il y a chez Pascal une insistance Ă  souligner la dimension misĂ©rable de l’existence humaine, Ă  la fois pour comprendre la propension des hommes Ă  se la dissimuler et pour dĂ©noncer la vanitĂ© des chemins empruntĂ©s. Cette misĂšre est celle d’un ĂȘtre ayant Ă©tĂ© dĂ©chu d’une condition originelle marquĂ©e par la fĂ©licitĂ© de l’homme avec Dieu ». C’est lĂ  le prĂ©supposĂ© thĂ©ologique de Pascal. Son analyse de la condition naturelle et de la condition politique des hommes s’enracine dans la tradition chrĂ©tienne. L’homme a perdu sa nature premiĂšre en perdant Dieu mais la perfection divine a laissĂ© en lui un vide qu’il cherche vainement Ă  combler. Il a conscience de sa misĂšre et cette conscience mĂȘme est un signe de sa grandeur. Ni ange, ni bĂȘte, il aspire Ă  une plĂ©nitude qui se refuse, Ă  une justification qu’il ne pourrait trouver que dans un Absolu, en Dieu dit Pascal, mais sa nature corrompue l’incline Ă  les chercher lĂ  oĂč elles ne sont pas dans les biens de l’ordre de la chair et dans ceux de l’ordre de l’esprit. Sans la grĂące divine il ignore que son salut se trouve dans les biens d’un ordre surnaturel, l’ordre de la supĂ©rioritĂ© dont le Christ a donnĂ© la mesure. D’oĂč sa frĂ©nĂ©sie Ă  passer tout le jour Ă  courir aprĂšs un liĂšvre qu’il ne voudrait pas avoir achetĂ© » et sa recherche des marques de reconnaissance sociale, tout cela participant de ce que Pascal appelle le divertissement. Les conduites et les institutions humaines sont toujours pensĂ©es par notre philosophe sur fond de cette misĂšre ontologique. Il s’agit de combler un manque d’ĂȘtre, de tenir en respect une angoisse existentielle, le dĂ©sir de grandeur, d’estime Ă©tant, lui aussi, un moyen de masquer son inconsistance et de demander aux autres la justification manquante. Or Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment, il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables et indiffĂ©rents, et connaissant nous et les autres, nous ne donnerions point cette inclination Ă  notre volontĂ©. Nous naissons pourtant avec elle ; nous naissons donc injustes car tout tend Ă  soi » PensĂ©es, B 477. Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui le porte Ă  se faire Dieu est bien aveuglĂ©. Qui ne voit que rien n’est si opposĂ© Ă  la justice et Ă  la vĂ©ritĂ© » PensĂ©es, B 492. Les hommes Ă©tant ce qu'ils sont, les ordres Ă©tablis sortent de leur concurrence pour le pouvoir, le prestige, la richesse. Ils ont pour fonction de stabiliser les rapports de force en leur donnant l’autoritĂ© du droit. D'oĂč la nĂ©cessitĂ© d'attacher certains respects aux grandeurs instituĂ©es afin de promouvoir le dĂ©passement de la violence des prĂ©tentions rivales. Pascal voit dans le respect le vĂ©ritable opĂ©rateur de civilitĂ©, le moyen de convertir l'injustice naturelle en justice civile. Mais la civilisation de l’injustice naturelle ne la supprime pas En un mot le moi a deux qualitĂ©s il est injuste en soi en ce qu’il se fait le centre de tout, il est incommode aux autres, en ce qu’il veut les asservir. Car chaque moi est l’ennemi et voudrait ĂȘtre le tyran de tous les autres. Vous en ĂŽtez l’incommoditĂ© mais non pas l’injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable Ă  ceux qui en haĂŻssent l’injustice ; vous ne le rendez aimable qu’aux injustes, et ainsi vous demeurez injuste et vous ne pouvez plaire qu’aux injustes » B 455. Au regard de la grandeur christique en effet, les grandeurs de l’ordre de la chair et celles de l’ordre de l’esprit n’en sont pas. C’est dire que nul Grand ne peut se prĂ©valoir de la vĂ©ritable grandeur. Sa supĂ©rioritĂ© n’est qu’un effet de la fantaisie des hommes et des hasards de l’histoire. Elle est aussi contingente que l’existence Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancĂȘtres; mais n’est-ce pas par mille hasards que vos ancĂȘtres les ont acquises et qu’ils les ont conservĂ©es? Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loi naturelle que ces biens ont passĂ© de vos ancĂȘtres Ă  vous? Cela n’est pas vĂ©ritable. Cet ordre n’est fondĂ© que sur la seule volontĂ© des lĂ©gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune n’est prise d’un droit naturel que vous avez sur ces choses. S’il leur avait plu d’ordonner que ces biens, aprĂšs avoir Ă©tĂ© possĂ©dĂ©s par les pĂšres durant leur vie, retourneraient Ă  la rĂ©publique aprĂšs leur mort, vous n’auriez aucun sujet de vous en plaindre.» Le deuxiĂšme enjeu de la parabole est d’établir que l’imagination est la grande maĂźtresse des reprĂ©sentations aussi bien chez les dominĂ©s que chez les dominants. Elle conforte le Grand dans le sentiment d’une grandeur dont il ne voit pas qu’elle n’est que d’établissement mais elle est aussi ce qui est au principe de la reconnaissance des hiĂ©rarchies Ă©tablies par le peuple. C’est ce qu’indique la mĂ©prise sur la personne du roi. Le naufragĂ© est pris pour le roi disparu. Ce qui lui confĂšre son statut qui, Ă  l’évidence dans l’expĂ©rience de pensĂ©e, est un statut usurpĂ©, tient Ă  certains signes extĂ©rieurs. Il a beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi ». Il faut comprendre que la royautĂ© n’est pas une qualitĂ© physique. Le roi n’est pas roi par son corps physique, il l’est par les attributs de sa fonction, aussi ne se montre-t-il jamais nu mais toujours parĂ© des signes de son pouvoir et de sa dignitĂ© vĂȘtements, emblĂšmes, assemblĂ©e de dignitaires etc. Il figure en sa personne physique une personne morale, celle du peuple unifiĂ© en une communautĂ© d’intĂ©rĂȘts, et cela en vertu de la puissance de l’imagination qui confond l’image de la chose avec la chose elle-mĂȘme. Cf. La coutume de voir les rois accompagnĂ©s de gardes, de tambours, d’officiers, et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans accompagnements, imprime Ă  leurs sujets le respect et la terreur, parce qu’on se sĂ©pare point dans la pensĂ©e leurs personnes d’avec leurs suites, qu’on y voit d’ordinaire jointes. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle ; et de lĂ  viennent ces mots le caractĂšre de la DivinitĂ© est empreint sur son visage, etc. » » PensĂ©es, B 308. Enfin cette parabole montre que l’ordre social n’est pas ce qui est imposĂ© par la force par des dominants mĂȘme si ce qui le sous-tend est, en derniĂšre analyse, la force. Si c’était le cas le peuple libĂ©rĂ© de son roi ne le chercherait pas et ne rendrait pas les respects dus Ă  la fonction royale Ă  celui qu’il prend pour son roi. Cela signifie qu’un ordre social ne tient que par le consentement de ceux qui le constituent. Sa lĂ©gitimitĂ© de fait revĂȘt une lĂ©gitimitĂ© de droit par la grĂące de l’imagination. Sans la conversion de la force en justice, la force ne peut pas fonder un ordre stable. Elle est par elle-mĂȘme impuissante, elle a besoin d’une justification morale et c’est l’imagination qui confĂšre l’apparence du droit Ă  ce qui en soi est Ă©tranger au droit. Pascal a dit cela dans un texte fameux Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nĂ©cessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des mĂ©chants ; la force sans la justice est accusĂ©e. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette Ă  dispute, la force est trĂšs reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force Ă  la justice parce que la force a contredit la justice et a dit que c’était elle qui Ă©tait juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fĂ»t fort on a fait que ce qui est fort fĂ»t juste » PensĂ©es, B 298. 3 Le personnage mis en scĂšne se laisse traiter en roi mais il n’ignore pas qu’il n’a aucun titre Ă  le faire. Et c’est ce qui le distingue du vrai roi. Celui-ci a Ă©tĂ© instituĂ© dans la position qui est la sienne. Le pouvoir politique a bien un fondement lĂ©gitime et c’est son institution de fait alors que notre naufragĂ© n’a aucune lĂ©gitimitĂ©. En droit positif, il serait un pur usurpateur et Pascal ne veut pas laisser supposer que c’est le cas des souverains rĂ©els de l’histoire. Je ne veux pas dire qu’ils vos biens, votre statut ne vous appartiennent pas lĂ©gitimement, et qu’il soit permis Ă  un autre de vous les ravir; car Dieu, qui en est le maĂźtre, a permis aux sociĂ©tĂ©s de faire des lois pour les partager; et quand ces lois sont une fois Ă©tablies, il est injuste de les violer. C’est ce qui vous distingue un peu de cet homme qui ne possĂ©derait son royaume que par l’erreur du peuple; parce que Dieu n’autoriserait pas cette possession, et l’obligerait Ă  y renoncer, au lieu qu’il autorise la vĂŽtre. Mais ce qui vous est entiĂšrement commun avec lui, c’est que ce droit que vous y avez n’est point fondĂ©, non plus que le sien, sur quelque qualitĂ© et sur quelque mĂ©rite qui soit en vous et qui vous en rende digne. Votre Ăąme et votre corps sont d’eux-mĂȘmes indiffĂ©rents Ă  l’état de batelier ou Ă  celui de duc; et il n’y a nul lien naturel qui les attache Ă  une condition plutĂŽt qu’à une autre. » Le naufragĂ© n’a aucun titre positif Ă  ĂȘtre roi. Le rĂŽle qu’il accepte d’endosser est une pure imposture et il y a tout lieu de penser qu’il s’expose Ă  ĂȘtre dĂ©masquĂ© un jour ou l’autre. Pascal le suggĂšre en disant que Dieu n’autoriserait pas cette possession, et l’obligerait Ă  y renoncer ». C’est la limite de la fiction utilisĂ©e pour instruire le jeune prince. Il ne s’agit pas de prĂ©tendre que les grandeurs d’établissement sont des usurpations du type de celle que figure le personnage de la parabole. En ce sens il y a une grande diffĂ©rence entre lui et le roi de l’histoire. RĂ©ponse Ă  la question 5 La remarque suggĂšre aussi que la position de Pascal est moins conventionnaliste qu’elle s’affiche. Car si l’institution sociale est de pure convention, les conventions sociales sont prĂ©sentĂ©es ici comme cautionnĂ©es par la loi divine ou loi naturelle. La citĂ© des hommes n’est pas la citĂ© de Dieu, et en ce sens elle n’a aucun fondement naturel, cela Ă©tant les Etats correspondent aux besoins de la nature humaine, Ă  l’ordre naturel tel qu’il a Ă©tĂ© voulu par Dieu. Il faut rendre Ă  CĂ©sar ce qui est Ă  CĂ©sar et Ă  Dieu ce qui est Ă  Dieu » lit-on dans Matthieu, XXII, 21 et le premier thĂ©ologien chrĂ©tien du droit naturel de l’Etat, St Paul Ă©crit Que toute personne soit soumise aux autoritĂ©s supĂ©rieures ; car il n’y a point d’autoritĂ© qui ne vienne de Dieu et les autoritĂ©s qui existent ont Ă©tĂ© instituĂ©es par Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose Ă  l’autoritĂ© rĂ©siste Ă  l’ordre que Dieu a Ă©tabli ». EpĂźtre aux Romains XIII Cette rĂ©serve Ă©tant soulignĂ©e, il y a un point commun entre le roi de la parabole et le roi de l’histoire. L’un et l’autre n’ont aucun titre naturel Ă  se prĂ©valoir de leur statut social. Celui-ci n’a pas de fondement naturel, il n’a qu’un fondement conventionnel. VoilĂ  pourquoi il est important que le Grand ait une double pensĂ©e ». PensĂ©e publique, officielle d’une part, pensĂ©e intĂ©rieure, secrĂšte d’autre part. Notons que Pascal ne les met pas sur le mĂȘme plan. L’une est plus vĂ©ritable » que l’autre, entendons, elle est plus conforme Ă  la vĂ©ritĂ© des choses. Dans le for intĂ©rieur, elle permet Ă  chacun, au Grand comme aux autres, de savoir que nul n’a un titre naturel Ă  se prĂ©valoir d’une supĂ©rioritĂ© de droit. En nature les hommes sont Ă©gaux, nul n’est nĂ© absolument supĂ©rieur Ă  un autre. Les inĂ©galitĂ©s physiques, intellectuelles ne sont pas synonymes d’inĂ©galitĂ© morale. Les enfants de Dieu sont Ă©gaux aussi bien en qualitĂ© de crĂ©atures de Dieu que de crĂ©atures dĂ©chues. Le Grand, socialement, ne doit pas afficher cette pensĂ©e cachĂ©e, pensĂ©e de derriĂšre » comme l’appelle aussi Pascal car il doit assumer son rĂŽle social. Par sa seconde pensĂ©e, il doit donc avoir une conscience, non moins claire, de sa position sociale afin d’en assumer les obligations avec le sens des convenances propres aux Ă©tablissements humains. Par l’une, il doit traiter avec lui-mĂȘme, par l’autre il doit traiter avec le peuple. 4 L’ordre social, vient-on de comprendre, n’a pas de fondement naturel. Les rapports gouvernants-gouvernĂ©s sont conventionnellement Ă©tablis. Ils ne dĂ©rivent pas de la nature des choses. En effet, aucun homme, n’est par nature, habilitĂ© Ă  gouverner d’autres hommes. Platon le disait Ă  sa maniĂšre Ce ne sont pas des bƓufs que nous prenons pour rĂ©gir des bƓufs, pas davantage des chĂšvres pour rĂ©gir des chĂšvres, mais c’est nous, en tant que nous sommes d’une autre espĂšce supĂ©rieure Ă  la leur, qui sommes leurs maĂźtres » Lois, 713 d-e. St Augustin aussi Dieu a voulu que l’ĂȘtre raisonnable fait Ă  son image ne dominĂąt que sur des ĂȘtres irraisonnables, non pas l’homme sur l’homme, mais l’homme sur la bĂȘte. VoilĂ  pourquoi les premiers justes Ă©taient Ă©tablis comme pasteurs de troupeaux plutĂŽt que comme rois des hommes » St Augustin. La CitĂ© de Dieu, XIX, 15. Il s’ensuit que seul un ĂȘtre d’une essence supĂ©rieure Ă  l’humaine nature pourrait ĂȘtre autorisĂ© Ă  revendiquer une vĂ©ritable supĂ©rioritĂ© et seul un tel ĂȘtre pourrait ordonner les rapports humains selon la loi de justice et d’amour. On a traditionnellement donnĂ© le nom de Dieu Ă  cet idĂ©al et les instituteurs lĂ©gendaires des peuples ont cherchĂ© Ă  gouverner en son nom MoĂŻse, Mahomet par exemple. ManiĂšre de pointer le caractĂšre aporĂ©tique du problĂšme politique. Car Il ne naĂźt pas dans les Etats de roi comme il en Ă©clĂŽt dans les ruches, douĂ©s de naissance d’un corps et d’un esprit supĂ©rieur » Ă©crit Platon, Politique, 301 c. Votre Ăąme et votre corps sont d’eux-mĂȘmes indiffĂ©rents Ă  l’état de batelier ou Ă  celui de duc; et il n’y a nul lien naturel qui les attache Ă  une condition plutĂŽt qu’à une autre. » dit Pascal. Avec ce propos, le philosophe s’inscrit clairement dans une position conventionnaliste en matiĂšre juridique et politique. Ce qui fonde les ordres politiques c’est d’avoir Ă©tĂ© instituĂ©s. Ils ne sont pas fondĂ©s en nature ou en raison. Ils sont contingents et ne peuvent se prĂ©valoir d’une justice naturelle. Leur justice n’est que de convention mais il ne s’agit pas d’en discuter la lĂ©gitimitĂ© dans l’ordre qui est le leur. L’institution juridique repose sur de bonnes raisons dont la plus essentielle est d’assurer la paix civile. VoilĂ  pourquoi il n’est pas souhaitable que ceux qui ont Ă  obĂ©ir aux lois aient l’intelligence de leur caractĂšre conventionnel. Ils pourraient ĂȘtre tentĂ©s de cesser d’obĂ©ir. Ce serait sans victoire pour la vraie justice et trĂšs prĂ©judiciable pour la paix civile rĂ©ponse Ă  la question 6. En revanche du point de vue de l’ordre de la supĂ©rioritĂ© vĂ©ritable, les ordres civils sont des figures de dĂ©sordre et d’injustice. Conclusion Pascal dĂ©gage Ă  la fin de son texte les implications morales de son analyse. Il en est des Grands ce qu’il en est de notre naufragĂ©. Ils n’ont aucun titre naturel Ă  se prĂ©valoir du statut de supĂ©rioritĂ© que la fantaisie des conventions humaines et les hasards de l’histoire leur ont octroyĂ©. Cette prise de conscience est nĂ©cessaire pour s’affranchir de la morgue, de la vanitĂ©, de l’insolence voire de la cruautĂ© que se permettent trop souvent ceux qui vivent dans la mĂ©connaissance de la vĂ©ritĂ© de leur condition naturelle et de leur condition sociale. Car tous les emportements, toute la violence, et toute la vanitĂ© des Grands, vient de ce qu’ils ne connaissent point ce qu’ils sont Ă©tant difficile que ceux qui se regarderaient intĂ©rieurement comme Ă©gaux Ă  tous les hommes, et qui seraient bien persuadĂ©s qu’ils n’ont rien en eux qui mĂ©rite ces petits avantages que Dieu leur a donnĂ©s au-dessus des autres, les traitassent avec insolence. Il faut s’oublier soi-mĂȘme pour cela, et croire qu’on a quelque excellence rĂ©elle au-dessus d’eux; en quoi consiste cette illusion, que je tĂąche de vous dĂ©couvrir. » Questions portant sur le deuxiĂšme discours 1 Explicitez le sens de la distinction entre les grandeurs naturelles et les grandeurs d'Ă©tablissement. 2 Expliquez Aux grandeurs d'Ă©tablissement, nous leur devons des respects d'Ă©tablissement, c'est-Ă -dire certaines cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures qui doivent ĂȘtre nĂ©anmoins accompagnĂ©es, selon la raison, d'une reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre.» Pointez le paradoxe. Qu'est-ce qui justifie le propos de Pascal? 3 Quel usage Pascal fait-il de la notion de justice et d'injustice? Utilisez le commentaire du texte du philosophe portant sur les trois ordres pour approfondir votre rĂ©ponse. Correction sous forme de commentaire de texte. Introduction Qu’est-ce que les hommes reconnaissent comme des grandeurs thĂšme ou des valeurs ? Question La thĂšse de Pascal consiste Ă  dire qu’il y a deux ordres de grandeurs, la premiĂšre partie s’efforçant de dĂ©terminer la nature de ce qu’il appelle des grandeurs d’établissement et des grandeurs naturelles. Il va de soi que ces diffĂ©rentes grandeurs appellent diffĂ©rents types de respect. Aux grandeurs d’établissement, respect d’établissement ; aux grandeurs naturelles, respect naturel. Telle est la thĂšse qui a rendu Pascal cĂ©lĂšbre. Mais ce n’est lĂ  que le premier niveau de la problĂ©matique du texte, le plus simple. Ce qui est beaucoup plus subtil est le jugement formulĂ© Ă  propos des respects d’établissement. Ils doivent, apprend-on, ĂȘtre nĂ©anmoins accompagnĂ©s selon la raison d’une reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre ». Ou bien C’est une sottise et une bassesse d’esprit que de leur refuser ces devoirs ».VoilĂ  qui a de quoi surprendre. N’est-il pas contradictoire de fonder en raison, ce qui a Ă©tĂ© prĂ©alablement analysĂ© comme une simple convention, expression de la fantaisie et de l’arbitraire humains ? Peut-on Ă  la fois disjoindre radicalement un ordre naturel et un ordre conventionnel au point de rĂ©cuser toute prĂ©tention Ă  fonder naturellement l’établissement humain et lĂ©gitimer celui-ci comme juste selon la raison ? L’élucidation de ce paradoxe constitue le point le plus important de ce texte oĂč Pascal livre sa conception, proprement tragique de l’ordre politique. I Les deux sortes de grandeurs. Distinguer des grandeurs ou des ordres ; Pascal est coutumier de ce souci. On se souvient de la distinction des trois ordres. Ici, la distinction ne s’opĂšre pas au sein de la nature, entre les corps et les esprits, ou entre la nature et la surnature c’est-Ă -dire entre les deux premiers ordres de l’extĂ©rioritĂ© et de l’intĂ©rioritĂ© et l’ordre de la supĂ©rioritĂ©. Elle s’opĂšre entre ce qui est par nature, comme disaient les sophistes et ce qui est par convention, L’objet auquel s’applique cette distinction est ce que Pascal appelle les grandeurs. Il faut comprendre sous cette dĂ©nomination, ce que les hommes reconnaissent comme une valeur, une supĂ©rioritĂ© ou une dignitĂ©. 1° Les grandeurs conventionnelles. Ce sont toutes celles que les hommes sont convenus, par des accords tacites ou explicites, d’instituer comme telles. Une convention est en effet ce qui dĂ©coule de la dĂ©cision humaine. Toute institution, tout Ă©tablissement humain, met en jeu des conventions. Or, l’observation des faits le montre, les conventions ont la relativitĂ© des apprĂ©ciations humaines. Ce que prĂ©cise le texte au moyen d’exemples. En France, au 17° siĂšcle on confĂšre une supĂ©rioritĂ© aux nobles, c’est-Ă -dire aux descendants des conquĂ©rants germains, en Suisse Ă  la mĂȘme Ă©poque on honore les roturiers. Ici on donne un privilĂšge Ă  l’aĂźnĂ©, lĂ  au cadet. Pascal souligne le caractĂšre arbitraire et contingent des hiĂ©rarchies sociales. C’est ainsi » mais cela pourrait ĂȘtre autrement. La distinction entre ce qu’une sociĂ©tĂ© honore et ce qu’elle mĂ©prise n’a pas de fondement naturel. La chose Ă©tait indiffĂ©rente avant l’établissement ». C’est la volontĂ© des hommes qui dĂ©cide ici, d’instituer le droit d’aĂźnesse, ailleurs le droit du cadet. En nature, il n’y a pas plus de raison d’affirmer le privilĂšge de l’un que celui de l’autre. Ce sont lĂ  des conventions propres Ă  chaque peuple. Pour qu’il n’y ait aucune ambiguĂŻtĂ© sur ce point, Pascal se fait explicite. Qu’est-ce qui est au principe de ces conventions ? La rĂ©ponse Parce qu’il a plu aux hommes » rĂ©vĂšle qu’elles n’ont pas d’autre justification que le bon plaisir des peuples. Avec la notion de plaisir le philosophe enracine les institutions dans la sphĂšre des dĂ©sirs ou dans son langage, des concupiscences et dans la toute puissance de l’imagination. On ne peut pointer davantage l’arbitraire et la relativitĂ© des Ă©tablissements humains et donc des lois, et donc de la justice. Avant la convention qui dĂ©cide de ces dĂ©terminations il n’y a ni juste, ni injuste. Mais dĂšs que la convention a force de loi, le juste s’identifie au respect de la lĂ©galitĂ©, l’injuste Ă  l’illĂ©galitĂ©. Le texte donne une premiĂšre explication de cette nĂ©cessitĂ© politique en faisant rĂ©fĂ©rence au trouble public Cf. troubler. On comprend que l’enjeu des conventions est d’assurer l’ordre public et seuls des accords communĂ©ment consentis peuvent cohĂ©rer des sociĂ©tĂ©s humaines. L’important n’est pas la rationalitĂ© de l’accord, c’est sa capacitĂ© Ă  promouvoir l’ordre social. De ce point de vue, il faut appeler injuste ce qui menace la stabilitĂ© des institutions, ce qui est facteur de dĂ©sordre c’est-Ă -dire de violence. 2° Les grandeurs naturelles. Naturelles se comprend par opposition Ă  conventionnelles. En droit, ce qui est fondĂ© en nature est ce qui est fondĂ© en raison. Ce qui est par nature est indĂ©pendant de la relativitĂ© et de l’arbitraire humains. Seule une raison affranchie du prĂ©jugĂ© peut en saisir la nĂ©cessitĂ© propre et l’universalitĂ©. Par exemple, la vertu de sagesse est une valeur dans l’absolu, non relativement Ă  la fantaisie des peuples. Elle est ce qu’elle est par dĂ©termination objective non par apprĂ©ciation fantaisiste. Le texte parle de qualitĂ©s rĂ©elles et effectives ». RĂ©el s’oppose Ă  fictif. Le fictif n’existe que dans l’imagination des hommes et n’a pas d’effectivitĂ©. On entend par effectivitĂ© » la capacitĂ© de produire des effets, de s’attester concrĂštement. La force peut soulever des haltĂšres, la faiblesse ne le peut pas. Le courage peut triompher du danger, la lĂąchetĂ© en est bien incapable. Les supĂ©rioritĂ©s naturelles sont en soi des supĂ©rioritĂ©s et devraient donc ĂȘtre reconnues par tout esprit normalement constituĂ©. 3° Les deux genres de respect relatifs aux deux genres de grandeurs. Ces deux sortes de grandeurs fondent des devoirs diffĂ©rents. Un devoir ou une obligation c’est ce Ă  quoi on est tenu en vertu d’une loi. Qu’il s’agisse des grandeurs conventionnelles ou des grandeurs naturelles, on est tenu au respect car toute dignitĂ© oblige. Mais ce respect n’est pas de mĂȘme nature dans les deux cas. Aux grandeurs d’établissement respect d’établissement dit Pascal. Que faut-il entendre par lĂ  ? Que tout ordre social implique des rĂšgles de civilitĂ© relatives aux hiĂ©rarchies instituĂ©es. L’usage veut qu’on parle aux rois Ă  genoux, qu’on se tienne debout dans la chambre des princes. On peut transposer ces exemples dans les usages de notre Ă©poque. La politesse et le respect dus Ă  la fonction veulent qu’au tribunal on se lĂšve lorsque les magistrats pĂ©nĂštrent dans le prĂ©toire, qu’on ne parle pas Ă  un ministre, un prĂ©fet ou Ă  un professeur comme Ă  un copain ou Ă  un chien. Ce sont lĂ  des cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures » entendons, une maniĂšre de se conduire oĂč l’essentiel consiste dans la conformitĂ© extĂ©rieure de l’attitude Ă  la rĂšgle sociale. Les marques conventionnelles de respect on tĂ©moigne d’une certaine rĂ©serve, on s’incline, on s’incommode » dit Pascal n’impliquent pas le consentement intĂ©rieur de l’ñme qui est au contraire le propre du respect Ă©prouvĂ© Ă  l’endroit des grandeurs naturelles. Celles-ci forcent l’estime, l’admiration. Elles suscitent des sentiments or les sentiments ne se commandent pas par dĂ©cret. Ils ont une spontanĂ©itĂ© tĂ©moignant qu’en prĂ©sence de certaines valeurs, la sensibilitĂ© rĂ©agit d’une certaine maniĂšre. Ce qui est identifiĂ© comme une supĂ©rioritĂ© naturelle suscite une espĂšce de retenue, de dĂ©fĂ©rence. On se sent enclin Ă  tĂ©moigner des Ă©gards Ă  la vertu, Ă  l’intelligence, Ă  leur rendre hommage, fĂ»t-ce dans le silence et le secret de l’intĂ©rioritĂ©. Il n’y a que les grandeurs naturelles qui soient ainsi capables de s’imposer Ă  la raison et Ă  la sensibilitĂ© et de les disposer intĂ©rieurement Ă  la reconnaissance de leur valeur. Nous ne devons les respects naturels qu’aux grandeurs naturelles » Ă©crit Pascal. La perspective est ici morale. Pascal ne dit pas que les hommes Ă©prouvent naturellement du respect pour les grandeurs naturelles. Ce serait mĂ©connaĂźtre la subversion de la raison par l’imagination, la toute puissance du prĂ©jugĂ© ou tout simplement la petitesse de certains esprits, que cela soit dĂ» Ă  l’absence d’éducation ou Ă  autre chose. L’expĂ©rience montre en effet qu’un Hitler ou un Staline ont suscitĂ© l’estime alors qu’un JĂ©sus a dĂ» essuyer les quolibets de la foule. Un caĂŻd est admirĂ© dans certains espaces alors qu’un honnĂȘte jeune homme peut ĂȘtre moquĂ©. Un professeur fort savant peut ĂȘtre chahutĂ© par des Ă©lĂšves n’ayant pas l’intelligence nĂ©cessaire Ă  la comprĂ©hension de leur propre infĂ©rioritĂ© Ă  l’endroit de la supĂ©rioritĂ© qui est en face d’eux. Rien n’est plus difficile que de savoir identifier les vraies valeurs. On se souvient que Descartes en fait le privilĂšge des Ăąmes bien nĂ©es. Pascal n’ignore pas le problĂšme. En se rĂ©fĂ©rant Ă  un ordre naturel de valeurs, il veut simplement conduire le prince auquel il s’adresse Ă  ne pas confondre les hiĂ©rarchies sociales avec les hiĂ©rarchies naturelles. Il lui rappelle que dans son for intĂ©rieur tout homme, fĂ»t-il le plus misĂ©rable socialement, est une citadelle inexpugnable. Nul ne peut ĂȘtre contraint Ă  juger estimable ce qui ne l’est pas. La libertĂ© intellectuelle et morale est inaliĂ©nable. Il n’est pas nĂ©cessaire parce que vous ĂȘtes duc, que je vous estime ; mais il est nĂ©cessaire que je vous salue. Si vous ĂȘtes duc et honnĂȘte homme, je rendrai ce que je dois Ă  l’une et Ă  l’autre de ces qualitĂ©s. Je ne vous refuserai pas les cĂ©rĂ©monies que mĂ©rite votre qualitĂ© de duc, ni l’estime que mĂ©rite celle d’honnĂȘte homme. Mais si vous Ă©tiez duc sans ĂȘtre honnĂȘte homme, je vous ferais encore justice, car en vous rendant les devoirs que l’ordre des hommes a attachĂ©s Ă  votre naissance, je ne manquerai pas d’avoir pour vous le mĂ©pris intĂ©rieur que mĂ©riterait la bassesse de votre esprit ». NB L’existence d’ordres diffĂ©rents de grandeurs et de respects expose au risque de confusion des ordres c’est-Ă -dire Ă  ce que Pascal appelle la tyrannie, le ridicule ou l’injustice. Par exemple, il est tyrannique d’exiger un respect naturel pour une grandeur conventionnelle de mĂȘme qu’il est injuste de rendre un respect d’établissement Ă  ce qui est une grandeur naturelle. II Elucidation du paradoxe. 1° EnoncĂ© du paradoxe. Aux grandeurs d’établissement, nous leur devons les respects d’établissement c’est-Ă -dire certaines cĂ©rĂ©monies extĂ©rieures qui doivent ĂȘtre accompagnĂ©es, selon la raison d’une reconnaissance intĂ©rieure de la justice de cet ordre mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualitĂ© rĂ©elle en ceux que nous honorons de la sorte ». Etonnante affirmation pouvant paraĂźtre scandaleuse. Pourquoi ? Parce qu’un ordre conventionnel, explicitement analysĂ© par l’auteur comme ordre arbitraire, ne pouvant se prĂ©valoir d’un fondement plus solide que le bon plaisir ou l’imaginaire des peuples n’a, nous semble-t-il, aucun titre du point de vue de la raison, Ă  ĂȘtre reconnu juste. Qu’il faille se conformer aux normes sociales, soit, qu’il faille de surcroĂźt reconnaĂźtre la justice d’un systĂšme normatif arbitraire c’en est trop. Juste en effet, ce qui peut ĂȘtre justifiĂ© moralement et pas seulement ce qui a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© tel. Nous pensons donc que seul un ordre conventionnel respectueux de la loi intĂ©rieure de l’esprit peut prĂ©tendre au consentement intĂ©rieur de la raison. En termes classiques, nous considĂ©rons que le droit positif doit se fonder sur le droit naturel pour avoir une lĂ©gitimitĂ© et seule cette lĂ©gitimitĂ© mĂ©rite d’ĂȘtre cautionnĂ©e rationnellement. Il est donc paradoxal de dire Ă  la fois qu’un ordre est arbitraire et fantaisiste et qu’il est juste selon la raison. Soit un ordre est arbitraire et on signifie qu’il n’est pas justifiable en raison, soit il est justifiable rationnellement et il est contradictoire de le dĂ©crire comme arbitraire ou fantaisiste. 2° Justification du paradoxe la confusion des ordres. En droit en effet la justice est ce qui est fondĂ© en raison et il ne s’agit pas de croire que Pascal n’assentirait pas Ă  ces propos. Il le dit explicitement en affirmant que seules les grandeurs naturelles peuvent inspirer un respect naturel. Il s’ensuit que s’il Ă©tait possible de construire un ordre social sur des fondements naturels ou rationnels, ce ne serait pas Pascal qui s’en plaindrait. Mais voilĂ , toute l’originalitĂ© de notre philosophe, consiste Ă  Ă©tablir que cette espĂ©rance n’est qu’une vaine illusion voire une insupportable prĂ©tention. Une telle espĂ©rance revient Ă  mĂ©connaĂźtre que s’il y a une justice propre Ă  l’ordre de l’intĂ©rioritĂ©, celle-ci est fort peu juste du point de vue de la sagesse de l’ordre de la supĂ©rioritĂ©. Au fond la mĂ©connaissance de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des ordres conduit Ă  faire preuve d’injustice au sens pascalien. L’injustice consiste toujours Ă  exiger d’un ordre des vertus n’ayant d’effectivitĂ© que dans un autre. Par exemple, il est injuste de demander aux gens de chair de s’incliner devant la supĂ©rioritĂ© intellectuelle comme il est injuste de demander aux gens d’esprit qu’ils reconnaissent l’autoritĂ© de la force. Subordonner la lĂ©gitimation de l’ordre politique Ă  la rectitude morale relĂšve de la mĂȘme erreur. Pascal ne dit pas erreur, il dit tyrannie, injustice ou ridicule. Il y a une justice interne Ă  chaque ordre qu’il serait injuste de ne pas reconnaĂźtre rationnellement. La question qu’il nous faut donc Ă©lucider est la suivante Quelle est la justice inhĂ©rente Ă  l’ordre politique qui, tout arbitraire qu’il soit, doit ĂȘtre selon la raison » reconnu comme juste ? A ce niveau de l’analyse il faut bien admettre que Pascal fait un usage problĂ©matique de l’expression selon la raison » car son analyse du politique ne se dĂ©ploie pas sur des prĂ©supposĂ©s purement rationalistes. Au contraire, elle ne prend sens que sur fond de sa critique radicale de la raison dont le procĂšs est instruit sur des prĂ©supposĂ©s thĂ©ologiques. a Figures de la corruption de notre nature la souverainetĂ© de l’ordre naturel. Le thĂšme donnant sens au propos pascalien est celui de la corruption de notre nature. L’homme a perdu la perfection originelle. Sa nature est une nature dĂ©chue, corrompue par le pĂ©chĂ©. Les deux ordres naturels, aussi bien celui de l’esprit que celui des corps participent de cette dĂ©chĂ©ance. Or l’ordre politique, c’est-Ă -dire la nĂ©cessitĂ© d’un pouvoir pour rĂ©gler l’usage de la force et lier les hommes selon des lois, dĂ©ploie son effectivitĂ© dans les deux premiers ordres. Il s’ensuit qu’il doit ĂȘtre assignĂ© Ă  la condition postlapsaire de l’homme et que la politique est Ă©trangĂšre Ă  l’économie de la grĂące. Sa naturalitĂ© relevant de la nature de l’homme pĂ©cheur, il est vain de lui demander d’ĂȘtre fondĂ©e sur l’exigence transcendante de justice. Seule une nature rĂ©novĂ©e par la grĂące peut avoir le sens de la vĂ©ritable justice mais il y a lĂ  quelque chose de surnaturel Cf. l’ordre de la charitĂ© ou de la supĂ©rioritĂ©. La justice est la vertu de la citĂ© de Dieu et au regard de la citĂ© de Dieu la citĂ© des hommes ne peut ĂȘtre qu’une figure de dĂ©sordre et d’injustice. Mais l’ordre politique qui est une figure de dĂ©sordre et d’injustice selon l’ordre de la grĂące revĂȘt dans l’ordre de la nature corrompue, une lĂ©gitimitĂ© correspondant Ă  sa nĂ©cessitĂ©. Signe de l’état de chute et de corruption il est justifiĂ©, quels que soient ses visages historiques, par le fait qu’il maĂźtrise en partie les effets du pĂ©chĂ© l’ayant rendu nĂ©cessaire. Il y a donc une double fonction de la doctrine des ordres une fonction critique et une fonction de lĂ©gitimation. Le juste interne Ă  l’ordre politique, ordre conventionnel, ne se mesure pas Ă  l’aune d’une grandeur surnaturelle mais Ă  sa vĂ©ritable fin consistant Ă  satisfaire les dĂ©sirs et les intĂ©rĂȘts des hommes et d’abord cet intĂ©rĂȘt majeur qui est de les protĂ©ger de leur violence rĂ©ciproque. Les rois, les ministres, les assemblĂ©es sont par nature des grands de chair. Ce sont des rois de concupiscence. Ils ont Ă  remplir les fonctions de cet ordre, la premiĂšre Ă©tant de nous sauver du pire des maux Ă  savoir de la guerre de tous contre tous. Nous devons leur rendre cette justice. Les choses du monde les plus dĂ©raisonnables deviennent les plus raisonnables Ă  cause du dĂ©rĂšglement des hommes. Qu’y a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner un Etat, le premier fils d’une reine ? On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison. Cette loi serait ridicule et injuste ; mais parce qu’ils le sont et le seront toujours, elle devient raisonnable et juste, car qui choisira-t-on, le plus vertueux et le plus habile ? Nous voilĂ  incontinent aux mains, chacun prĂ©tend ĂȘtre ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualitĂ© Ă  quelque chose d’incontestable. C’est le fils aĂźnĂ© du roi ; cela est net, il n’y a point de dispute. La raison ne peut faire mieux, car la guerre civile est le plus grand des maux » On peut lire aussi la pensĂ©e B325. Ce propos donne la mesure du tragique pascalien. Il donne sa substance au thĂšme de la corruption de notre nature, thĂšme constituant, rappelons le, le site d’oĂč parle Pascal. Il faut reconnaĂźtre une justice des conventions sociales mĂȘme s’il convient de la faire avec ce que Pascal appelle la pensĂ©e de derriĂšre » c’est-Ă -dire avec ce recul permettant de ne pas confondre les ordres et donc de ne pas concevoir quelque qualitĂ© rĂ©elle en ceux que nous honorons de cette sorte ». b L’impuissance de la raison humaine Ă  dĂ©terminer adĂ©quatement les valeurs. C’est que la raison humaine est impuissante Ă  dire le vrai, le bien ou le juste. De sa perfection premiĂšre, l’homme a gardĂ© la trace en creux de l’idĂ©e de justice, ce qui le conduit Ă  dĂ©noncer l’injustice mais cette trace est une place vide. Encore qu’on ne puisse assigner le juste, on voit bien ce qui ne l’est pas » dit Pascal. D’oĂč les disputes incessantes entre les hommes et la nĂ©cessitĂ© de se mettre d’accord pour garantir la paix. Ici on dĂ©cidera que celui qui mettra tout le monde d’accord est le fils aĂźnĂ© du roi, lĂ  que c’est l’avis d’une majoritĂ©. La justice de l’accord n’est pas sa conformitĂ© Ă  la vraie justice, c’est la paix qu’il assure. Que cet accord se rĂ©alise sur le principe dĂ©mocratique de la majoritĂ© ou sur le principe monarchique de la souverainetĂ© de droit divin peu importe. Dans tous les cas les hommes s’entendent sur des principes conventionnels qui sont des principes corrompus. Il n’y a pas de salut dans la sphĂšre du politique. Mais celle-ci est incontournable pour contenir les effets de notre dĂ©raison. VoilĂ  pourquoi Pascal conseille au prince de laisser croire au peuple que les rĂšgles assurant l’ordre public sont justes. Cette illusion est vectrice d’obĂ©issance et l’obĂ©issance est absolument nĂ©cessaire. DĂ©voiler l’illusion serait sans gain pour la vraie justice et calamiteux pour la paix civile. Ce ne serait pas charitĂ©, ce serait haine. Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obĂ©it qu’à cause qu’il les croit justes. C’est pourquoi il faut lui dire en mĂȘme temps qu’il y faut obĂ©ir parce qu’elles sont lois, comme il faut obĂ©ir aux supĂ©rieurs, non pas parce qu’ils sont justes mais parce qu’ils sont supĂ©rieurs. Par lĂ , voilĂ  toute sĂ©dition prĂ©venue si on peut faire entendre cela, et ce que c’est prĂ©cisĂ©ment que la dĂ©finition de la justice » PensĂ©e. c La subversion de la raison par l’imagination. Ce thĂšme de l’impuissance de la raison humaine Ă  dĂ©terminer positivement le juste s’articule Ă  celui de la subversion de la raison par l’imagination, autre figure de la corruption de notre nature. Bien avant la cĂ©lĂšbre analyse de Rousseau dans le Contrat Social Pascal montre que la justice Ă©tant sujette Ă  dispute, on n’a pu faire que la justice soit forte. Mais comme un ordre est absolument nĂ©cessaire, on a fait en sorte que la force soit juste ». Cette supercherie est l’Ɠuvre de l’imagination. Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en gĂ©nĂ©ral sont cordes de nĂ©cessitĂ©, car il faut qu’il y ait diffĂ©rents degrĂ©s, tous les hommes voulant dominer, et tous ne le pouvant pas, mais quelque uns le pouvant. Figurons nous donc qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois dĂ©terminĂ©, alors les maĂźtres, qui ne veulent pas que la guerre continue, ordonnent que la force qui est entre leurs mains leur succĂ©dera comme il leur plaĂźt les uns la remettront Ă  l’élection des peuples, les autres Ă  la succession de naissance etc. Et c’est lĂ  oĂč l’imagination commence Ă  jouer son rĂŽle. Jusque lĂ  la pure force l’a fait ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc. Or ces cordes qui attachent donc les respects Ă  tel ou tel en particulier sont des cordes d’imagination » PensĂ©e. B. 304. Cette capacitĂ© de l’imagination Ă  subvertir la raison et Ă  imposer la force en la parant du prestige du droit, pointe l’étendue de la corruption de notre nature. Car l’imagination est l’activitĂ© de l’esprit au service des diverses concupiscences oeuvrant dans la nature humaine. Il s’ensuit qu’elle ressortit de l’ordre de la chair. Sa fonction est de satisfaire les appĂ©tits de pouvoir, de richesse, de gloire, de vanitĂ©, appĂ©tits ambigus car s’il n’y a pas lieu d’en ĂȘtre fier, ils sont nĂ©anmoins le ressort du dynamisme de la vie. Les enfants de Port Royal auxquels on ne donne point cet aiguillon d’envie et de gloire tombent dans la nonchalance » reconnaĂźt la pensĂ©e Mais enfin ce sont bien ces appĂ©tits qui nous expulsent de la surnature. Ils conduisent chacun Ă  se penser comme centre et lĂ  est le principe du pĂ©chĂ©. Quel dĂ©rĂšglement de jugement, par lequel il n’y a personne qui ne se mette au dessus de tout le reste du monde, et qui n’aime mieux son propre bien et la durĂ©e de son bonheur et de sa vie, que celle de tout le reste du monde » Par cette propension Ă  se faire le centre de tout, les hommes ne peuvent donc prĂ©tendre vivre dans la justice. Il faudrait pour cela, ce qui est proprement impossible se dĂ©pouiller de toute volontĂ© particuliĂšre, n’aspirer Ă  aucun bien qui ne puisse ĂȘtre partagĂ© par tous. Il faudrait prĂ©fĂ©rer au bien individuel le bien de l’ensemble, ce qui en toute rigueur est une subversion de l’ordre naturel des choses. Seule la grĂące peut rendre possible la capacitĂ© de l’infĂ©rieur Ă  s’élever au supĂ©rieur. Autant dire que ce salut s’effectue hors du politique. C’est le miracle de la foi condamnant en ce monde Ă  la tragĂ©die de la Croix. Conclusion RĂȘver d’un ordre qui serait humainement faisable et qui ne serait point un dĂ©sordre, c’est tout mĂ©langer, c’est prendre les hommes pour des dieux ou pour des anges ; c’est l’erreur des philosophes. Il faut donc savoir que l’ordre n’est qu’apparent et que c’est un vĂ©ritable dĂ©sordre, mais il faut faire comme si ce dĂ©sordre Ă©tait un ordre vĂ©ritable ; la plupart des hommes ne sont pas capables de cette doctrine et il faut leur prĂ©senter le dĂ©sordre rĂ©el comme un ordre rĂ©el. Car ils ne peuvent y obĂ©ir et s’y soumettre que s’ils croient que c’est un ordre rĂ©el et que les principes en sont justes. Pascal est donc d’une certaine maniĂšre l’exact envers de Rousseau. Tous deux voient dans l’ordre social tel qu’il existe rĂ©ellement une apparence qui cache un vĂ©ritable dĂ©sordre ; tous deux voient dans la prĂ©tendue union civile une forme souveraine d’opposition et de dĂ©sunion ; tous deux voient dans la paix Ă  laquelle tous aspirent une forme de guerre de tous contre tous. Mais lĂ  oĂč Rousseau imagine que l’homme pourrait guĂ©rir de son pĂ©chĂ© et s’ordonner en fonction du tout, passant ainsi d’un ordre apparent Ă  un ordre rĂ©el, Pascal sait que, parce que l’homme est pĂ©cheur, il n’y a pas d’ordre plus rĂ©el que l’ordre apparent, pas d’union plus Ă©troite que celle qui nous lie en nous opposant, pas de paix plus vraie que celle qui a la forme d’une guerre secrĂšte » Jean-Fabien Spitz, Apparence et faussetĂ© la double nature de l’ordre politique chez Pascal, Revue internationale de philosophie, n° 199, mars 1997. Questions portant sur le troisiĂšme discours 1 Quel est le sens de la distinction entre le royaume de la charitĂ© et le royaume de la concupiscence ? 2 Quelle est la mission d’un roi de concupiscence ? 3 Y a-t-il un salut possible de l’humanitĂ© dans l’ordre politique ? Correction 1 Cette distinction renvoie Ă  la distinction que St Augustin a Ă©tablie entre la citĂ© de Dieu, citĂ© cĂ©leste et la citĂ© des hommes, citĂ© terrestre Deux amours ont donc bĂąti deux citĂ©s celle de la terre par l’amour de soi jusqu’au mĂ©pris de Dieu, celle du ciel par l’amour de Dieu jusqu’au mĂ©pris de soi. L’une se glorifie en elle-mĂȘme, l’autre dans le Seigneur. L’une en effet demande sa gloire aux hommes; l’autre tire sa plus grande gloire de Dieu, tĂ©moin de sa conscience. L’une, dans sa gloire, redresse la tĂȘte; l’autre dit Ă  son Dieu Tu es ma gloire et tu Ă©lĂšves ma tĂȘte.» L’une, dans ses chefs ou dans les nations qu’elle subjugue, est dominĂ©e par le dĂ©sir de dominer; dans l’autre, on se rend service mutuellement dans la charitĂ©, les gouvernants en prenant les rĂ©solutions, les sujets en obĂ©issant. L’une, dans ses puissants, chĂ©rit sa propre force; l’autre dit Ă  son Dieu Je t’aimerai, Seigneur, toi ma force » C’est pourquoi, dans l’une, les sages vivant selon l’homme ont recherchĂ© les biens du corps ou de l’ñme ou des deux; et ceux qui ont pu connaĂźtre Dieu ne l’ont pas honorĂ© comme Dieu et ne lui ont pas rendu grĂąces, mais ils se sont fourvoyĂ©s dans leurs pensĂ©es et leur coeur insensĂ© a Ă©tĂ© obscurci; se proclamant sages [ c’est-Ă -dire s’exaltant dans leur sagesse sous la domination de leur orgueil] il sont devenus fous; ils ont troquĂ© la gloire du Dieu incorruptible contre des images de l’homme corruptible, [
] Dans l’autre citĂ© au contraire, la seule sagesse de l’homme est la piĂ©tĂ© qui rend un culte lĂ©gitime au vrai Dieu et attend pour rĂ©compense dans la sociĂ©tĂ© des saints, hommes aussi bien qu’anges, que Dieu soit tout en tous. » St Augustin, La CitĂ© de Dieu, Livre XIV, 28. La citĂ© terrestre est Ă  l’image de la nature humaine. Celle-ci est une nature dĂ©chue. Elle n’est pas encline Ă  se soumettre Ă  la loi transcendante d’amour et de justice car elle est sous l’empire des diverses concupiscences oeuvrant en elle. Le principe du mal est l’amour de soi en lieu et place de l’amour de Dieu. Telle est la corruption constitutive de notre ĂȘtre. L’homme est un nĂ©ant se prenant pour un dieu, une infime partie d’un ensemble, sans lequel il ne serait rien, se prenant pour le tout. Quel dĂ©rĂšglement de jugement, par lequel il n’y a personne qui ne se mette au-dessus du reste du monde, et qui n’aime mieux son propre bien, et la durĂ©e de son bonheur, et de sa vie, que celle de tout le reste du monde » PensĂ©es, B 456. Le conatus d’auto-affirmation comme l’appellent Hobbes et Spinoza, l’amour de soi ou l’amour-propre sont la respiration de tout existant et c’est cela le principe du dĂ©sordre terrestre. S’ils Ă©taient capables de dĂ©poser les requĂȘtes de leur cher moi », les hommes pourraient ĂȘtre unis dans une communautĂ© d’amour et de justice mais ils ne seraient plus des hommes. Ils seraient des saints or la saintetĂ© ne procĂšde pas de la force humaine, elle est la force de Dieu dans celui qu'il a Ă©lu thĂšme de la grĂące divine. C’est dire qu’extĂ©rieure Ă  la communion des saints, la citĂ© des hommes est construite sur les diverses concupiscences que chacun peut dĂ©couvrir en soi, s’il veut bien s’efforcer d’ĂȘtre lucide. Concupiscence des richesses. Concupiscence du pouvoir. Concupiscence des honneurs. La richesse, la domination, la gloire sont les valeurs de l’ordre de l’extĂ©rioritĂ© ou de la chair auxquelles il faut ajouter les valeurs de l’ordre de l’intĂ©rioritĂ© ou de l’esprit, relevant elles aussi d’une concupiscence que Pascal, Ă  la suite de St Augustin, dĂ©finit comme orgueil et curiositĂ©. Celle-ci est au principe de la sagesse des philosophes mais cette sagesse est fort peu sage au regard de la sagesse qu’est venu enseigner le Christ. En vĂ©ritĂ©, en vĂ©ritĂ© je vous le dis, personne ne peut entrer dans le royaume de Dieu s’il ne renaĂźt pas de l’eau et de l’Esprit saint. Ce qui est nĂ© de la chair, est chair ; et ce qui est nĂ© de l’Esprit est esprit. Ne vous Ă©tonnez pas de ce que je vous ai dit, qu’il faut que vous naissiez encore une fois » Evangile de Jean 3. Il s’ensuit que tout oppose le royaume de la charitĂ© et le royaume de la concupiscence. L’un unit les hommes dans l’amour de bienveillance. Chaque moi cessant de se faire le centre de tout n’existe que par et pour le tout. Le miracle de la communion des saints est celui d’un monde oĂč le moi ne se contenterait pas de limiter ses prĂ©tentions pour laisser une place aux prĂ©tentions des autres mois, mais se dĂ©poserait purement et simplement. Oubli de soi, dĂ©vouement aux autres, sacrifice de sa personne pour l'amour de Dieu. St augustin le dit magnifiquement dans le jeu d’oppositions qu’il construit. Si la citĂ© de Dieu est bĂątie sur l’amour de Dieu jusqu’au mĂ©pris de soi, l’autre l’est sur l’amour de soi jusqu’au mĂ©pris de Dieu. Si l’une tire sa gloire de sa force et de sa domination dans le concert des nations, l’autre tire sa gloire de son absorption dans la perfection divine. L’une est cohĂ©rĂ©e comme communautĂ© d’intĂ©rĂȘts, l’autre comme communautĂ© de foi. 2 Si l’ordre politique procĂšde des inclinations de la nature humaine, on comprend que les autoritĂ©s instituĂ©es n’ont de lĂ©gitimitĂ© qu’autant qu’elles assurent la satisfaction des intĂ©rĂȘts des membres du corps politique. Ces intĂ©rĂȘts sont la sĂ©curitĂ©, la prospĂ©ritĂ©, la reconnaissance comme satisfaction narcissique. La justice est le nom que les hommes donnent au systĂšme qui les comble sur tous ces points. Ainsi la monarchie, dont Montesquieu a montrĂ© qu’elle reposait sur le principe de l’honneur » a durĂ© aussi longtemps qu’elle a Ă©tĂ© capable de satisfaire ces exigences. Il s’ensuit que, quelle que soit la nature de l’ordre Ă©tabli aristocratique ou dĂ©mocratique, les hommes sont liĂ©s par la force de leurs intĂ©rĂȘts. Pascal le rappelle au futur duc de Chevreuse en lui disant que tous les puissants socialement, ne le sont pas par l’étendue de leur territoire, mais par la possession des choses que la cupiditĂ© des hommes dĂ©sirent ». Tous sont des rois de concupiscence ». Pascal voit bien ici le ressort majeur de l’ordre politique et il en tire une leçon de sagesse politique Ă  l’endroit de son Ă©lĂšve. Sans rien mĂ©connaĂźtre de son Ă©galitĂ© morale avec ceux qui seront sous son autoritĂ©, celui-ci devra veiller Ă  combler au mieux les besoins et les dĂ©sirs de ceux qui lui seront attachĂ©s par la puissance de ces mĂȘmes besoins et dĂ©sirs. [
] en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens qu’elle vous donne; et ne prĂ©tendez pas rĂ©gner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce n’est point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit toutes ces personnes. Ne prĂ©tendez donc point les dominer par la force, ni les traiter avec duretĂ©. Contentez leurs justes dĂ©sirs, soulagez leurs nĂ©cessitĂ©s, mettez votre plaisir Ă  ĂȘtre bienfaisant, avancez-les autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence. » Pascal invite le Grand Ă  ĂȘtre un serviteur de ceux qu’il gouverne, Ă  faire preuve d’humilitĂ©, de gĂ©nĂ©rositĂ© et de diligence dans ses fonctions. Accomplir sa tĂąche du mieux qu’il peut en Ă©vitant la brutalitĂ©, la violence, la mesquinerie. Cela Ă©tant, il fera peut-ĂȘtre le salut terrestre du peuple et le sien, il n’en sera pas pour autant moins damnĂ©. Car le salut = sauver son Ăąme, pour la sagesse christique, n’est pas dans les biens de la chair et dans ceux de l’esprit. Il est dans le mĂ©pris de la concupiscence. Certes il vaut mieux se damner en honnĂȘte homme » qu’en misĂ©rable, mais enfin le mieux serait de travailler Ă  son salut vĂ©ritable et cela passe par une conversion radicale. Mon royaume n’est pas de ce monde » disait le Christ. La sagesse en ce monde est un moindre mal, elle n’est pas le bien car Il faut mĂ©priser la concupiscence et son royaume, et aspirer Ă  ce royaume de charitĂ© oĂč tous les sujets ne respirent que la charitĂ© et ne dĂ©sirent que les biens de la charitĂ©. D’autres que moi vous en diront le chemin; il me suffit de vous avoir dĂ©tournĂ© de ces vies brutales oĂč je vois que plusieurs personnes de votre condition se laissent emporter faute de bien connaĂźtre l’état vĂ©ritable de cette condition. » Pascal reste Ă©vasif sur le chemin du salut vĂ©ritable. Le philosophe doit s’effacer ici et laisser la place au miracle de la foi. Car une conversion suppose toujours une expĂ©rience dĂ©cisive par laquelle s’opĂšre la transformation radicale d’un ĂȘtre. 3 L’analyse prĂ©cĂ©dente Ă©tablit donc qu’il n’y a pas de salut de l’humanitĂ© par la politique. Il n’y a de salut que par le don divin de la grĂące. La solution aux maux de l’humanitĂ© n’est pas politique, elle est religieuse mais elle ne dĂ©pend pas de l'homme. Son salut n'est pas entre ses mains, il est dans celles de Dieu qui sauve ou qui damne. Il s'ensuit que la citĂ© de Dieu est une espĂ©rance pour l’au-delĂ , non pour l’ici-bas. Partager Marqueursamour de dieu, amour de soi, angoisse, concupiscence, condition humaine, divertissement, droit naturel, droit positif, grĂące, grandeurs conventionnelles, grandeurs naturelles, hasard, imagination, justice, misĂšre existentielle, ordre de l'extĂ©rioritĂ©, ordre de l'intĂ©rioritĂ©, ordre de la supĂ©rioritĂ©, respect d'Ă©tablissement, respect naturel, salut Narcisse Le Caravage 1593 Un homme qui se met Ă  la fenĂȘtre pour voir les passants ; si je passe par lĂ , puis-je dire qu’il s’est mis lĂ  pour me voir ? Non ; car il ne pense pas Ă  moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un Ă  cause de sa beautĂ©, l’aime-t-il ? Non car la petite vĂ©role, qui tuera la beautĂ© sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mĂ©moire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualitĂ©s sans me perdre moi-mĂȘme. OĂč est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’ñme ? et comment aimer le corps ou l’ñme, sinon pour ces qualitĂ©s, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont pĂ©rissables ? car aimerait-on la substance de l’ñme d’une personne, abstraitement, et quelques qualitĂ©s qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualitĂ©s. Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualitĂ©s empruntĂ©es. Pascal, PensĂ©es, Qu’est-ce que le moi ? » Laf. 688 Dans ce texte, extrait du recueil des PensĂ©es de Pascal, il s’agit en quelques leçons d’apprendre une vĂ©ritĂ© sur le moi, et d’en dĂ©duire la valeur de l’amour que l’on peut lui porter. Mais quelles leçons de vĂ©ritĂ© le philosophe peut-il nous donner sur le sens de l’amour que l’on porte Ă  soi-mĂȘme ? Et pourquoi ces leçons sont-elles si importantes pour moi ? L’intĂ©rĂȘt de ce texte est qu’il ne prĂ©suppose pas un savoir prĂ©tendu de philosophe sur l’identitĂ© du moi ou le sens de l’amour mais bien plutĂŽt met en question ce prĂ©tendu savoir tout autant que les opinions du sens commun dont il partage au fond les mĂȘmes prĂ©jugĂ©s. PremiĂšre leçon Que je vienne Ă  passer dans la rue, aperçoive un homme Ă  sa fenĂȘtre, et je peux me croire alors l’objet de son attention. C’est que je ne me considĂšre pas comme n’importe quel passant anonyme je suis moi-mĂȘme, et moi-mĂȘme, du point de vue de mon amour-propre, ce n’est pas n’importe qui ! Or la leçon consiste Ă  reconnaitre que le regard de l’homme a sa fenĂȘtre n’a sans doute que faire de moi qui passe par lĂ . Il peut ne chercher dans cette activitĂ© d’observation qu’un simple passe-temps. Pascal parle dans d’autres textes du divertissement » comme de l’occupation principale de la plupart des hommes. Cet homme ne voit passĂ©es que des silhouettes anonymes. Je ne suis donc, pour lui personne en particulier. C’est la premiĂšre leçon accepter de n’ĂȘtre personne pour quelqu’un qui vous regarde avec indiffĂ©rence, comme un simple passant anonyme. La deuxiĂšme leçon est plus difficile il s’agit de comprendre la vĂ©ritĂ© sur l’amour de la beautĂ©. Cet amour ne consiste jamais Ă  aimer quelqu’un pour lui-mĂȘme mais d’abord seulement pour sa beautĂ© physique. Pour obtenir l’amour, l’aimĂ© e montre son plus beau profil, et cherche ainsi chez l’amant e les preuves de cet amour. Mais l’amour de la beautĂ© prouve justement le contraire de ce qui est recherchĂ© ! L’amant va s’attacher Ă  la beautĂ© et non Ă  la personne. Il y a donc dans l’amour de la beautĂ© une illusion qui fait tout son charme mais aussi toute sa cruautĂ© quand l’illusion de dissipe. On peut parler d’une vanitĂ© » de cet amour esthĂ©tique, c’est-Ă -dire d’une valeur sĂ©duisante mais trompeuse de la beautĂ©. La petite vĂ©role en tuant la beautĂ© Ă©claire la vanitĂ© de l’amour esthĂ©tique, et nous rapproche ainsi de la vĂ©ritĂ© sur nous-mĂȘmes. TroisiĂšme leçon Si ce n’est pas la beautĂ© qui nous rend aimable, on peut trouver heureusement des valeurs-refuges qui m’assurent quand mĂȘme l’estime d’autrui. Si je suis un esprit reconnu pour son intelligence, je peux me croire mieux aimĂ© que pour une beautĂ© fragile et pĂ©rissable. Or, je ne suis pas mon intelligence, pas plus que je ne suis ma beautĂ© ! Mon jugement ne fait pas de moi ce que je suis, et pas plus ma mĂ©moire. Abruti par la passion, rendu amnĂ©sique par la maladie, je resterais moi-mĂȘme. La troisiĂšme leçon se charge donc de dĂ©masquer comme tout aussi vaines que la beautĂ© ces qualitĂ©s si mal nommĂ©es propriĂ©tĂ©s intellectuelles. Que reste-t-il de ce que je croyais pouvoir identifier comme le propre de moi ? Quelqu’un qui ne peut ni ĂȘtre ni localisĂ©, ni Ă  proprement parler aimĂ©. Ce qu’on aime en moi, ce n’est en effet jamais moi-mĂȘme mais des qualitĂ©s impropres du corps ou de l’ñme, lesquels ne sont dĂšs lors aimables qu’à proportion de ces qualitĂ©s. Ce on » cache peut-ĂȘtre cependant dans sa formulation impersonnelle le secret de la relation amoureuse qui est d’ĂȘtre une relation entre un je » et un tu ». DĂšs lors la propriĂ©tĂ© essentielle du moi pourrait bien ĂȘtre de constituer, non pas une substance » pensante ou matĂ©rielle comme le soutiennent des philosophes comme Descartes, mais le dĂ©sir d’ĂȘtre aimĂ© au travers d’une relation personnelle parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Telle est ainsi selon Montaigne, le secret de l’amitiĂ©. On pourrait alors soutenir que Pascal ne caractĂ©ristique ici qu’une forme infĂ©rieure d’amour, celle qui n’accĂšde pas au coeur de la relation amoureuse, et en reste Ă  la jouissance des qualitĂ©s superficielles et impersonnelles car pĂ©rissables », qu’elles soient qualitĂ©s du corps ou de l’ñme. La fin du texte prend ainsi une tournure morale la question de la nature du moi n’est en effet pas essentiellement une question mĂ©taphysique. Elle interroge la dignitĂ©, c’est-Ă -dire la valeur de la personne qui me constitue, et qui me rend essentiellement aimable. Pascal ne fait pas comme Descartes de la substance pensante ce qu’il y a de plus digne en moi. Le sujet pensant est un sujet abstrait qui sera toujours aimĂ© pour des qualitĂ©s qui ne lui sont pas essentielles, et qui ne sera donc jamais aimĂ© pour lui-mĂȘme. Cela doit conduire Ă  Ă©viter les dĂ©fauts d’une attitude courante chez les philosophes. Estimant Ă  tort le moi adorable dans sa substance, ils en viennent Ă  mĂ©priser la recherche des honneurs ces charges et offices qui consacrent souvent une position sociale, et sont souvent le rĂ©sultat d’une laborieuse lutte pour la reconnaissance. Ce que veut dire Pascal est qu’il est tout aussi vain de rechercher les honneurs que de chercher Ă  ĂȘtre aimĂ© pour des qualitĂ©s physiques ou intellectuelles qu’on estime Ă  tort pouvoir caractĂ©riser son identitĂ© personnelle. Le secret de l’amour, et peut-ĂȘtre aussi de la gloire est ailleurs. Ne pas rire, ne pas pleurer mais comprendre » dira Spinoza pour qualifier l’attitude du vrai philosophe devant le spectacle des passions humaines. Comprenons ici que les hommes qu’ils recherchent des honneurs ou la satisfaction de leur amour-propre n’en recherche pas moins maladroitement l’amour. Les premiers n’ont pas Ă  ĂȘtre plus moquĂ©s que les seconds. La vĂ©ritĂ© du moi est cruelle Le moi est malade, passionnĂ© d’amour-propre et cet amour l’aveugle sur la vraie nature de lui-mĂȘme qui est justement de ne possĂ©der en propre aucune qualitĂ©. Mais cette vĂ©ritĂ© est aussi libĂ©ratrice elle permet de comprendre le paradoxe du moi Le moi n’est pas aimable et pourtant il ne dĂ©sire follement qu’une chose ĂȘtre aimĂ©, d’oĂč la folie de la passion amoureuse ! Que peut faire le philosophe ? Non se moquer d’une attitude qu’il n’est pas le dernier Ă  reconduire, mais comprendre le vrai chemin personnel et tortueux de la relation amoureuse, et pour cela reconnaĂźtre qu’ĂȘtre un sujet, pour moi, c’est toujours dĂ©sirĂ© au plus haut point ĂȘtre ce que je ne suis pas, ce dĂ©sir animant toutes mes conduites, les plus folles comme les plus sages. Autre explication du mĂȘme texte plus analytique et Ă©rudite ici

pascal qu est ce que le moi